Une évaluation critique du projet de la directive de l’OMS sur l’utilisation des édulcorants sans sucre
Informations clés
- Les preuves issues de recherches de qualité supérieure revues récemment par l’OMS confirment le rôle utile des édulcorants dans la réduction des sucres et de l’apport énergétique et, par conséquent, dans la perte de poids, malgré l’actuel projet de recommandation qui suggère de ne pas les utiliser pour contrôler le poids
- Ce projet de directive ne tient pas compte d’une importante batterie d’essais cliniques contrôlés qui confirment les effets bénéfiques de l’utilisation des édulcorants à la place des sucres sur la glycémie postprandiale et sur la santé dentaire.
- Le projet actuel de recommandation de l’OMS pourrait prêter à confusion pour les personnes diabétiques, pour lesquelles les édulcorants constituent une aide diététique utile pour la gestion de leur consommation de glucides et de sucres
Le 15 juillet 2022, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié le projet de directive sur l’utilisation des édulcorants sans sucre1 afin de fournir des orientations sur leur consommation à l’ensemble de la population, notamment en ce qui concerne l’impact des édulcorants sur le contrôle du poids et sur les maladies non transmissibles. Comme l’a souligné l’OMS, l’évaluation de la sécurité des édulcorants, qui a été confirmée à plusieurs reprises par les autorités chargées de la sécurité des aliments dans le monde, notamment par le Comité mixte FAO/OMS d’experts en additifs alimentaires (JECFA)2, n’entre pas dans le champ d’application de la directive de l’OMS. Tous les édulcorants approuvés sont sûrs lorsque les niveaux de la dose journalière admissible (DJA) sont respectés.
Pour élaborer le projet de recommandation, l’OMS a pris en compte les preuves relatives aux effets des édulcorants sur la santé qui ont été revues en 2022 de manière systématique et qui ont fait l’objet d’une méta-analyse par Rios-Leyvraz et Montez3. Toutefois, les résultats des méta-analyses des essais randomisés contrôlés (ERC) de l’OMS n’appuient pas le projet de recommandation qui suggère que « les édulcorants sans sucre ne doivent pas être utilisés comme un moyen de contrôler le poids ou de réduire le risque de maladies non transmissibles (recommandation conditionnelle) ». Par ailleurs, la formulation de la recommandation n’a pas tenu compte des données importantes provenant d’une vaste batterie d’essais cliniques, qui confirment les effets bénéfiques à court terme de l’utilisation des édulcorants à la place des sucres sur la glycémie postprandiale et sur la santé dentaire4.
Les données probantes soutiennent le rôle utile des édulcorants dans le contrôle du poids
Le rôle utile des édulcorants dans la réduction de l’apport énergétique (calories) et dans l’atteinte d’une perte de poids modeste, lorsqu’ils sont utilisés pour remplacer les sucres, a été confirmé par de nombreuses études et revues systématiques5-10, dont notamment l’étude de l’OMS qui a servi de base au projet de directive de l’OMS3. Effectivement, dans le cadre de la méta-analyse des ERC de l’OMS, qui constitue la norme d’excellence en matière de nutrition et de recherche clinique, Rios-Leyvraz et Montez ont démontré que l’utilisation des édulcorants entraîne une réduction des apports en sucres et en calories, ainsi qu’une perte de poids modeste mais significative chez les adultes3. Il est donc surprenant que les bénéfices de l’utilisation des édulcorants, comme moyen de réduire l’apport excessif en sucres et en calories, et donc de contribuer à la gestion du poids, ne soient pas reconnus dans la recommandation de l’OMS qui déconseille l’utilisation des édulcorants sans sucre pour contrôler le poids.
Des ERC menés à plus long terme, sur une durée allant jusqu’à 2 ans, qui analysent l’impact des édulcorants sur le contrôle du poids, soutiennent également leur rôle utile dans la gestion du poids11,12,13. Il est important de noter que les données d’observation fournissent des preuves incohérentes et peu fiables de l’association entre les édulcorants et l’obésité, car la recherche par observation dans ce domaine est susceptible de présenter une causalité inverse. Ce qui signifie que « l’association positive entre la consommation des ENN [‘édulcorants non nutritifs] et la prise de poids dans les études d’observation peut être la conséquence et non la cause du surpoids et de l’obésité », comme le reconnaissent également les études soutenues par l’OMS14.
Les experts ont exprimé leur préoccupation quant à l’importance à accorder aux données d’observation qui étudient l’association entre les édulcorants et l’obésité, alors que des données provenant d’ERC bien étayés sont disponibles15. De par leur conception, les études d’observation ne peuvent pas établir de relation de cause à effet et fournissent des preuves de faible qualité, comme le reconnaît le manuel de l’OMS pour l’élaboration des lignes directrices16. Il est bien établi que les études de cohorte prospectives présentent également un risque élevé de facteurs de confusion résiduels et de causalité inverse, car les grands consommateurs d’édulcorants peuvent choisir ces produits parce qu’ils présentent un risque plus élevé de résultats cardiométaboliques défavorables et non l’inverse17. Les revues soutenues par l’OMS le reconnaissent également : les résultats des études d’observation sur les effets des édulcorants sur la santé doivent être interprétés avec prudence, et l’attention devrait être portée sur les facteurs de confusion résiduels plausibles ainsi que sur la causalité inverse14,18.
En revanche, un corpus de preuves basé sur des ERC est considéré comme étant de meilleure qualité et, par conséquent, les ERC constituent la source de preuves à privilégier pour mesurer les effets des interventions liées à des résultats de santé mesurables, tels que le poids corporel. Des revues systématiques complètes et des méta-analyses d’ERC soutiennent le rôle bénéfique des édulcorants, en tant que substituts du sucre, dans la réduction des calories et des sucres et, par conséquent, dans la perte de poids5-10. Certaines études ont d’ailleurs constaté que cet effet bénéfique est plus important chez les personnes en surpoids ou obèses, qui doivent contrôler leur poids corporel7,18. Le bénéfice de la substitution des sucres ajoutés par des édulcorants dans la réduction de l’apport calorique à court terme et dans l’aide à la gestion du poids est également soutenu par une revue systématique des Lignes directrices alimentaires pour les Américains (Dietary Guidelines for Americans), 2020-202519, réalisée par l’US Dietary Guideline Advisory Committee.
Il a été démontré que le contrôle du poids et, en particulier, le maintien à long terme de la perte de poids sont très difficiles pour les personnes souffrant de surpoids et d’obésité. Bien que les édulcorants ne soient pas une solution miracle pour perdre du poids, ils peuvent être un outil diététique utile en offrant un plus grand choix d’aliments et de boissons au goût sucré avec moins de calories et de sucres, et en aidant les personnes souffrant d’obésité à adopter une alimentation globale de meilleure qualité tout en essayant de gérer leur poids corporel.
La recommandation de l’OMS peut être source de confusion pour les personnes vivant avec le diabète
Le projet de directive indique que l’évaluation des effets des édulcorants sans sucre sur la santé des personnes atteintes d’un diabète préexistant dépasse le champ d’application de cette directive et que, par conséquent, cette recommandation n’est probablement pas appropriée pour les personnes diabétiques1. Cependant, les édulcorants représentent une aide diététique utile pour les personnes diabétiques qui doivent gérer leur consommation de glucides et de sucres. Ne pas tenir compte des besoins des patients vivant avec le diabète, qui représentent environ 10 % de la population mondiale, est une lacune importante de ce projet de directive. Par ailleurs, la recommandation de l’OMS qui suggère de ne pas utiliser les édulcorants sans sucre pour contrôler le poids pourrait même prêter à confusion pour les personnes vivant avec le diabète, surtout lorsque les organisations liées au diabète et à la nutrition soutiennent l’utilisation des édulcorants pour la gestion du diabète.
Sur la base de l’avis scientifique émis par l’Autorité européenne de sécurité des aliments4, dans une allégation de santé autorisée et figurant dans le registre de l’UE des allégations nutritionnelles et de santé, il est reconnu que « la consommation d’aliments contenant des édulcorants intenses à la place du sucre entraîne une élévation moins importante de la glycémie après leur ingestion par rapport aux aliments contenant du sucre » (règlement n° 432/2012 de la Commission)20. De plus, plusieurs revues ont confirmé que les édulcorants, par eux-mêmes, n’affectent pas la glycémie et les niveaux d’insuline postprandiaux21,22. L’absence d’effet des édulcorants sur la glycémie et le pic de glycémie postprandiale plus faible qu’ils entraînent lorsqu’ils sont utilisés à la place des sucres, font des édulcorants une aide diététique utile pour les personnes diabétiques qui doivent gérer leur consommation de glucides et de sucres. Les organismes de santé du monde entier reconnaissent que les édulcorants peuvent être utilisés en toute sécurité pour remplacer le sucre dans la gestion nutritionnelle du diabète23-25. Par exemple, les recommandations nutritionnelles pour le diabète de type 1 et de type 2 réalisées par l’Association américaine du diabète (ADA)24 et l’Académie américaine de nutrition et de diététique (AND)25 concluent que l’utilisation des édulcorants a le potentiel de réduire l’apport global de calories et de glucides lorsqu’ils sont utilisés pour remplacer les édulcorants caloriques et s’ils ne sont pas compensés par une ingestion additionnelle de calories provenant d’autres sources d’alimentation. Aussi, la dernière déclaration de position de Diabetes UK sur les édulcorants (LNCS) conclut que : « Il a été démontré que les LNCS sont sûrs et qu’ils peuvent être utilisés chez les adultes et les enfants dans le cadre d’une stratégie de contrôle du poids et du diabète »23.
Le rôle des édulcorants dans la santé dentaire est important et bien établi
La consommation excessive de sucres alimentaires est un risque reconnu lié aux caries dentaires chez les êtres humains26,27. En revanche, étant des ingrédients non fermentescibles par les bactéries buccales, les édulcorants peuvent contribuer à une bonne santé bucco-dentaire, lorsqu’ils sont utilisés à la place du sucre28. L’EFSA soutient dans ses avis scientifiques correspondants que « les informations scientifiques sont suffisamment nombreuses pour étayer les allégations selon lesquelles les édulcorants intenses, comme tous les substituts du sucre, maintiennent la minéralisation des dents en diminuant leur déminéralisation, s’ils sont consommés à la place des sucres »4. Le projet de directive de l’OMS n’a pas tenu compte de l’ensemble des preuves qui confirment ce bénéfice bien établi de l’utilisation des édulcorants pour la santé dentaire, qui était par ailleurs soutenu par les données probantes revues dans la propre étude de l’OMS. Ce constat est préoccupant, car les caries dentaires font partie des maladies non transmissibles les plus répandues.
Les édulcorants sont sûrs et n’affectent pas la santé cardiométabolique
Les autorités chargées de la sécurité des aliments du monde entier ont confirmé à plusieurs reprises et de manière constante la sécurité des édulcorants, y compris pendant la grossesse. En effet, pour qu’un édulcorant soit autorisé à être mis sur le marché, il doit d’abord faire l’objet d’une évaluation de sécurité exhaustive par l’autorité compétente en matière de sécurité des aliments. Celle-ci évalue l’ensemble de la littérature disponible, y compris, mais sans s’y limiter, les données revues par l’OMS, en plus des données probantes issues des ERC à court terme menés sur les humains, ainsi que les données obtenues des animaux et in vitro. Ces organismes de réglementation scientifique sont, entre autres, le Comité mixte d’experts en additifs alimentaires (JECFA) de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)2, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)29 et l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA)30.
Fondé sur des données probantes de très faible qualité, le projet de directive de l’OMS signale « des effets potentiels indésirables dus à une utilisation à long terme et qui se traduiraient par un risque accru de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires et de mortalité chez les adultes. Des preuves limitées suggèrent des effets potentiels indésirables qui se traduiraient par un risque accru de naissance prématurée en cas d’utilisation d’édulcorants sans sucre pendant la grossesse »1. Cependant, cette affirmation est basée uniquement sur des preuves de niveau très faible à faible provenant d’études d’observation, qui présentent un risque de facteurs de confusion résiduels et de causalité inverse, comme le reconnaît la présente directive. Il est important de signaler que, contrairement aux résultats des études d’observation, les résultats des méta-analyses des ERC, y compris ceux de la récente étude de l’OMS, confirment que les édulcorants n’ont pas d’effets négatifs sur les facteurs de risque cardiométaboliques, y compris les taux de glucose et d’insuline, les lipides sanguins et la pression artérielle3,10,31. En effet, une récente revue systématique des ERC a révélé des bénéfices potentiels pour la santé cardiométabolique lorsque des boissons contenant des édulcorants sont utilisées à la place de boissons édulcorées au sucre10.
Que signifie que la recommandation soit conditionnelle ?
Le projet de recommandation sur l’utilisation des édulcorants sans sucre est une recommandation conditionnelle (faible). Les recommandations conditionnelles sont celles dont le groupe d’élaboration des directives de l’OMS n’est pas certain que les effets souhaitables de la mise en œuvre de la recommandation soient plus importants que les effets indésirables ou lorsque les bénéfices nets attendus sont faibles. Cette décision est fondée sur l’évaluation des preuves disponibles qui présentent un degré de certitude globalement faible dans la récente revue systématique de l’OMS sur laquelle s’appuie le projet actuel de directive3. Cependant, cette étude n’a examiné qu’une partie de la littérature disponible et n’a pas évalué les preuves solides issues des ERC qui examinent l’impact des édulcorants sur la glycémie postprandiale et sur la minéralisation dentaire.
Observations finales
Les bénéfices des édulcorants, lorsqu’ils sont utilisés à la place des sucres, sont étayés par un grand nombre d’essais contrôlés randomisés, aigus, de courte et de longue durée, et bien menés chez les humains, qui fournissent des preuves de haute qualité32. Le fait de ne pas inclure l’ensemble des données probantes sur les effets des édulcorants sans sucre sur la santé et de ne pas traduire avec précision la totalité des données probantes disponibles en une recommandation, en tenant compte de la hiérarchie des preuves scientifiques, peut entraver les efforts de santé publique qui visent à réduire la consommation excessive des sucres et à lutter contre l’obésité.